La classe. Épisode IV : Les scientifiques, mes 6eme et moi

avatar-fatima-small Par FatiMars

logo-integrareCette année, allez savoir pourquoi, je me suis engagée dans deux aventures extraordinaires la même semaine en plein milieu du mois de novembre. Aujourd’hui, je vais vous raconter la première d’entre elles : la rencontre avec un chouette chercheur. En ce qui concerne la seconde aventure (une histoire de 6eme philosophant en plein UNESCO), je vous la conterai dans mon prochain billet.

de4a_ratsBon, je n’avais pas menti en juin quand j’ai démarré le feuilleton « La classe » : cette rubrique ne doit pas parler que des trucs qui vont bien. Ce billet va grandement faire état de mes doutes et de mes difficultés. Je ne parlerai pas que de cela, rassurez-vous ! Je vous propose aussi de survoler différentes modalités de collaboration avec des scientifiques en classe et de vous plonger dans une modélisation 2D/3D pour mieux faire passer la notion de cellule. Que voulez-vous : parfois en classe, rien ne semble plus aller…

Comme chaque année, juste après mon surinvestissement des mois de septembre et d’octobre pour réussir au mieux la rencontre avec mes élèves et leurs parents – et juste avant le moment très critique du mois de décembre qui, en collège d’éducation prioritaire, tient toujours ses promesses – c’est la saison du bourdon.
Usée par la constante obligation, lors des premiers mois de l’année scolaire, de convaincre mes élèves que mon cours n’est pas un atelier de loisirs créatifs, gérant des situations graves et dramatiques dans ma classe allant de l’élève qui ne sait quasiment pas lire et écrire en 6eme (et pour qui, je me sens terriblement dépassée) à la violence physique pure et simple entre deux élèves en plein cours, je ne me sens pas très utile. Et puis, mes élèves brillants se contentent déjà du minimum syndical62755170 malgré mes propositions de différenciation… Du coup, je me demande bien ce que je fais là. Certes, le kruk bat déjà son plein et les élèves semblent avancer (malgré les rechutes chroniques de nombre d’entre eux) mais l’inaccessible étoile qu’est la salle de classe idéale (dont j’ai une vision très précise dans ma tête) semble encore tellement loin.

Entre deux shoots de Taylor Mali, je cultive donc mes doutes. D’après Freud, j’ai choisi l’un des 3 métiers impossibles (oui, il y en a trois : celui de gouverner, celui de soigner et celui d’enseigner). De temps en temps, je rencontre des parents d’élèves, des scientifiques et même des inspecteurs (si, si, ça arrive) qui, m’entendant parler de mon métier, me disent qu’on sent que « j’ai la vocation ». Et, quelques fois, je me permets de leur répondre que malheureusement pour moi, j’aime mon métier et c’est « une vraie vocation ». Cette réponse étonne toujours mais l’explication est très simple en fait : des fois, j’aimerais juste ne pas avoir un métier qui me prend tant la tête, qui me semble si impossible, qui m’épuise autant et qui me donne tant l’impression d’être Don Quichotte.

astronauts00Voilà l’état dans lequel je démarrais la semaine dernière. Vous imaginez que les deux aventures extraordinaires (programmées plusieurs semaines plus tôt) m’ont paru insurmontables. Mais c’était impossible d’annuler à la dernière minute.

Je vais donc essayer de vous expliquer dans ce billet en quoi l’aventure recevoir-un-scientifique-dans-mon-cours m’a semblé si extraordinaire cette fois-ci. Effectivement, organiser une visite d’usines, de laboratoires de recherches ou une conférence scientifique pour ses élèves est un grand classique. Il faut juste ne pas oublier de préparer vos loulous à l’événement et prendre le temps de l’exploiter. Et comme nous courons tous après le temps, ce n’est pas toujours facile de le dégager malgré toutes nos bonnes intentions.

Quand on réussit à être vraiment en lien avec un scientifique, un ingénieur ou un artisan, c’est déjà tellement super. Pour les grands groupes ou les grands labos de recherches, il faut déjà passer le cap des services de communication et/ou de médiation scientifique ce qui peut prendre du temps. Parfois, c’est plus simple de surfer sur des opérations spécifiques comme par exemple les Architectes et les Paysagistes dans la classe ou 1000 chercheurs dans les écoles.

titan_in_true_colorEt puis, il y a aussi le hasard des rencontres qui peut jouer en votre faveur. Juste parce que vous êtes du genre

  1. à connaitre quelqu’un qui connait quelqu’un qui connait quelqu’un… ;
  2. à provoquer des occasions quand elles sont susceptibles de se présenter,

vous finissez, par exemple, par avoir droit à un Skype en direct de Houston entre David Saint-Jacques, astronaute de l’Agence Spatiale Canadienne, et vos 5eme qui travaillent 5 heures par semaine sur un projet de simulation d’une exploration humaine du plus gros satellite de Saturne (qui étaient déjà super chanceux d’être encadrés de loin par Roland Lehoucq du CEA).

119330-120-78394b6fSi votre scientifique ne peut pas se déplacer jusqu’à vous (parce qu’il est loin de votre lieu d’exercice ou parce que vous travaillez dans la pampa) et que faire une conférence scientifique en live avec le matériel disponible à l’école ou au collège est hors de question, une interview vidéo est tout à fait possible (ou mieux, un défi scientifique à destination de vos élèves, lancé par votre intervenant sous format numérique).

Dans le cas de la semaine dernière, c’est le scientifique qui m’a contacté pour intervenir dans la classe.  J’apprends donc courant septembre par mail que Daniel Stockholm, le papa d’une de mes élèves, est enseignant-chercheur à l’École Pratique des Hautes Études (où il enseigne la biologie cellulaire et moléculaire) et effectue ses recherches au Généthon. Nous avons calé un entretien téléphonique pendant lequel il m’a présenté ce qu’il pouvait proposer comme expériences et activités à la classe. En l’écoutant, j’avais un peu l’impression que j’étais encore tombée sur un chercheur fou (et vous savez, lecteurs fidèles, que j’adoooore les savants fous et qu’ils m’impressionnent énormément).

image1En plus du plaisir d’entendre tant d’enthousiasme venant de mon interlocuteur, je me rendais compte au fur et à mesure qu’il ne serait absolument pas difficile d’intégrer les activités proposées à la progression de mes 6eme. Nous avons donc convenu d’une date pour son intervention (pendant le mois du grand bourdon) et d’une date pour se rencontrer (quelques semaines avant l’intervention en classe) car il souhaitait me montrer les expériences dont il m’avait parlé. Lors de notre rencontre, nous avons affiné tous les deux la notion sur laquelle nous allions faire travailler les élèves.

Quelques jours avant la séance, j’ai envoyé une proposition d’organisation que je n’avais jamais expérimentée. Comme j’avais programmé deux événements la même semaine, qu’il y avait un vendredi férié au mois de novembre et qu’un petit projet surprise proposé par notre collègue d’histoire-géographie (sur la ville du futur) avait chamboulé ma progression, je me suis retrouvée à ne pas pouvoir préparer les élèves comme annoncé à M. Stockholm.

D’habitude, le professionnel que j’invite vient faire une petite conférence sur son métier ou un sujet sur lequel nous travaillons. Quand c’est possible, j’aime bien que le scientifique donne un petit ou grand défi que je travaille sur les séances suivantes avec mes élèves et sur lequel nous « rendons des comptes » à notre invité. A l’école, on travaille l’écrit un peu artificiellement. On « écrit scolaire ». On s’adresse au professeur toujours et encore. image2Là, les écrits et productions numériques s’adressent à un autre public. Et d’un coup, il est extrêmement important de s’exprimer correctement parce que c’est un « vrai écrit » qui sort de l’école et qu’il y a le vrai enjeu d’être à la hauteur de notre invité de marque ! Quelquefois, le professionnel réussit à dégager encore un peu de temps et revient écouter les élèves rendre compte de leurs résultats à la fin de l’année scolaire.

Vendredi dernier, M. Stockholm a accepté de se prêter à l’exercice du Kruk et nous en a proposé deux en un : une expérience mettant en évidence la fluorescence et une expérience dont il est l’auteur (l’oscillation d’une goutte d’eau par lévitation en utilisant le phénomène de caléfaction). Différence notable par rapport à d’habitude, les élèves ont posé de nombreuses questions dans les premières minutes de réaction libre et ont moins osé tenter l’explication des expériences.

pasteurAprès le kruk, nous sommes rentrés dans le vif du sujet en revenant sur la semaine précédente : le projet « Sciences d’ici et d’ailleurs » (futur module de Lamap en cours d’élaboration et de tests). « Ici », c’est la France, le pays le plus important pour notre collectif et j’ai choisi Pasteur et les microorganismes. « Ailleurs », ce sera la Chine, le Sahel, le Maghreb… quelques zones géographiques qui comptent pour mes élèves et moi, zones dont on ne parle pas d’habitude en histoire des sciences à l’école et au collège.

IMG_3795.jpgM. Stockholm a choisi de se mettre en retrait à ce moment-là et je crois que c’était pour pouvoir adapter une partie de sa présentation suite aux échanges sur les kruks. Après le temps d’expérimentation des élèves, j’ai mené une mise en commun des productions. L’objectif de l’activité (que j’ai adaptée d’une mise en situation d’investigation scientifique pour adultes d’Adeline André) est de reconstituer des objets 3D à partir de quelques coupes 2D. Sur la dernière partie de la séance, Daniel Stockholm a présenté son métier de chercheur au Généthon.

edwardwhite-gemini4J’ai eu du mal à trouver mes marques lors de cette séance. J’ai le sentiment qu’il nous était plus difficile de trouver notre place de scientifique et de professeur face aux élèves car il ne s’agissait pas seulement d’une conférence pour l’un et de la gestion de la classe pour l’autre. Et puis, il faut bien vous l’avouer, c’est la première fois de ma carrière que je fais cours avec un scientifique qui est aussi un parent d’élève. Alors, vous imaginez que cette expérience n’a pas diminué mes doutes sur ma manière de mener mes séances de cours. J’ai toujours l’impression de devoir prendre un nombre énorme de micro décisions par seconde, sans jamais avoir le temps de prendre le recul nécessaire pour prendre les bonnes décisions. Et je vais donc continuer à refaire la séance dans ma tête encore et encore pendant quelques jours : ah non ! là, je n’aurais pas dû dire ça… là, j’aurais dû faire ça plutôt etc. …

IMG_3805.jpgMais un de mes doutes les plus profonds s’est évanoui pendant la présentation de Daniel Stockholm. Je savais que la reconstitution 3D avec des outils numériques à partir de photographies de cellules allait être abordée. Mais de l’entendre en parler à mes élèves, ça a eu un effet inattendu sur moi. M. Stockholm expliquait tout simplement à mes élèves que le travail que je leur proposais était difficile mais très important et que c’était une chance de travailler comme cela. En nous initiant au logiciel Fiji, il nous démontrait tout simplement que ce que nous avions fait juste avant avec de la pâte à modeler, des bouts de matières plastiques, des cure-dents, du carton… correspondait à ce que les chercheurs faisaient à l’aide de l’informatique.

logoPuis, je crois que j’ai retrouvé une partie de l’énergie qui me manquait encore au moment où j’ai expliqué la suite des séances à mon invité pour avoir son avis, une fois les élèves sortis de la salle de classe. Cette semaine, nous allons observer des cellules de divers êtres vivants en multipliant le plus possible les observations (c’était prévu dans la séance à deux voix mais nous n’avons pas eu le temps de le faire). Nous allons reconstituer en 3D des cellules via le logiciel Fiji, gratuit et open source, et fabriquer des macro-cellules en gélatine que nous découperons pour mieux expliquer les observations faites avec nos microscopes. L’objectif est de continuer à accompagner mes élèves dans ce saut conceptuel que constitue le passage de la 2D à la 3D (et inversement). La gélatine nous permettra aussi de comprendre pourquoi nous ne voyons pas systématiquement le noyau des cellules (enfin pour celles qui sont censées en avoir, bien sûr !) suivant l’endroit où a lieu la coupe de la macro-cellule.

En cette fin de billet, je tiens donc à REMERCIER une fois de plus Daniel Stockholm pour cette belle aventure pédagogique. J’espère aussi qu’il se retrouvera dans ce que j’ai écrit dans ce billet. Sans doute, faudrait-il mettre en œuvre l’activité 2D/3D avant la venue d’un scientifique et mener à deux voix les activités de modélisation informatique et « gélatinique ». Mais ce sera pour une prochaine fois en espérant qu’il y ait une prochaine fois !

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Maintenant, chers lecteurs, vous savez ce qui vous reste à faire pour calmer vos doutes et reprendre quelques forces, demandez à des gens qui connaissent des gens de vous aider à rencontrer des professionnels qui accepteront de prendre le temps de travailler avec vous, invitez ces scientifiques, ces ingénieurs, ces artisans… dans vos classes, ancrez cette visite (réelle ou virtuelle) dans votre progression, consacrez du temps à son exploitation et surtout…. restez curieux !

FatiMars


600x337_don_quichotte_de_la_manchePour en savoir plus sur le futur module « Sciences d’ici et d’ailleurs », n’hésitez à me contacter pour… le tester !


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